La typographie expliquée par The Grand Budapest Hotel

Un guide visuel

En tant qu'univers ultra-esthétique, le Grand Budapest Hotel est le plus « wes-andersonien » des films de sa filmographie. Sorti en 2014, cette comédie relate l'histoire de M. Gustave, concierge à l'hôtel Grand Budapest (situé dans le pays imaginaire de Zubrowka dans l'entre-deux-guerres). Alors que les nazis envahissent l'Europe, M. Gustave enseigne son métier à son jeune assistant, le groom Zero Mustapha. M. Gustave hérite d’un tableau de valeur d'une de ses clientes et les héritiers de celle-ci sont prêts à tout pour remettre la main dessus. Y compris à utiliser des méthodes violentes et crapuleuses.

C’est Annie Atkins (graphiste irlandaise) qui s'occupe de tous les éléments graphiques des films de Wes Anderson depuis leur collaboration sur le Grand Budapest Hotel.
Ses conceptions graphiques sont saisissantes. Responsable de chaque accessoire graphique du film, elle a conçu et créé tous les journaux, les lettres, les rapports de police, les testaments, les motifs de tapis, les menus et les livres qui apparaissent à l'écran. 
Annie Atkins a travaillé en étroite collaboration avec Wes Anderson et Adam Stockhausen (le chef décorateur) avec qui elle échangeait tous les jours. En effet tous les éléments graphiques devaient être créés, modifiés, validés et reproduis à l'identique en une quinzaine d'exemplaire pour les besoins du tournage.
« Ce film était particulièrement amusant, je pense, d'un point de vue graphique, parce que nous créions ce pays entièrement fictif que Wes avait écrit - l'État de Zubrowka. Cela signifiait que chaque petit détail devait être fait à partir de zéro - drapeaux, billets de banque, timbres-poste, tout. »
Annie Atkins suit une règle pour tous ces travaux. Elle respecte l'époque des éléments graphiques et les reproduit en fonction. Si l'élément graphique nécessaire au film était réalisé à la main, elle le fait à la main. S’il était tapé à la machine, elle l'effectue avec une de l’époque.

Que ce soit dans le film The Grand Budapest Hotel, et en règle générale dans les créations graphiques d’Annie Atkins, l’élément le plus présent et visible est bien la typographie. Grâce à ce film, découvrons ensemble la classificationdes typographies.

 

SERIF
Comme on le remarque sur la boîte de pâtisserie Mendl’s, cette police de caractères contient des empattements aux extrémités des lettres. On appelle cela une typographie serif.
L’histoire des polices de caractères avec empattement remonte aux Romains qui laissaient une trace de pinceau en haut et en bas lorsqu’ils achevaient le geste d’écrire. Créant ce que nous appelons aujourd’hui des « empattements », décrit par les petites extensions qui prolongent les extrémités des caractères.
Les polices avec empattement sont omniprésentes dans la vie quotidienne. Dans presque tous les livres que nous lisons, les documents que nous ouvrons. C’est la typographie de confort pour la lecture.
Typographies : Times New Roman, Didot et Garamond
Marques : Dior, Zara et Tiffany & Co
Image : L’empattement d’une police lui donne une image élégante, sophistiquée et fiable. Les logos qui utilisent ces polices souhaitent avoir une image de tradition, de respectabilité et de confiance. Certaines entreprises s’en servent pour paraître mieux établies et sont idéales pour communiquer une identité basée sur l’autorité et la grandeur. Certains milieux, comme l’édition ou la finance, privilégient les polices à empattements pour le caractère conservateur et respectable qu’elles transmettent.

SANS-SERIF
Le livre qui introduit le film The Grand Budapest Hotel est écrit sans empattement. C’est une typographie sans sérif. Elles sont en général, pour les petits caractères, plus lisibles que les typographies serifs. Cela leur donne une apparence plus nette et plus moderne. Leur utilisation remonte au XIXème siècle. Elles sont devenues extrêmement populaires dans les années 1920-1930. Elles sont définies par des lignes droites et nettes. Elles n’ont pas de fioritures et mettent l’accent sur la lisibilité et la simplicité.
Typographies : Helvetica, Futura et Gotham
Marques : LinkedIn, Calvin Klein et Nutella
Image : ces types de polices ont un aspect clair et net. Bien qu’elles mettent l’accent sur la clarté, elles peuvent aussi être audacieuses et utilisées pour attirer l’attention grâce à leur design soigné et efficace. Les entreprises qui choisissent cette famille de polices privilégient la modernité.

CURSIVE
Les typographies scripts ou cursives sont des polices qui imitent l’écriture. En effet, un lien entre les lettres se crée comme pour les écritures manuscrites. Les scriptes sont toujours plus ou moins inclinés, ce qui donne un aspect « écrit à la main ».
Ces types de polices renoncent au style d’imprimerie en blocs au profit d’un style cursif, d’aspect plus naturel.
Ces polices sont immédiatement reconnaissables par leurs boucles et leurs ornements qui s’étendent à partir de l’empattement. Elles s’appellent en anglais « swashes ».
A utiliser avec parcimonie, ces typographies peuvent affecter la lisibilité et compliquer la compréhension. En effet, ces typographies sont peu lisibles lorsqu’elles composent de grands textes. Elles sont utilisées en logotypes, en restauration et pour des faire-part de mariage.
Typographies : Mistral, Dancing Script et Lemon Jelly
Marques : Coca-Cola, Disney et Bonne Maman
Image : Les polices scriptes évoquent un sentiment d’élégance, de liberté et de féminité. Leurs styles courbes et épanouis communiquent également une approche plus pratique et personnelle des affaires. Les entreprises qui veulent transmettre une émotion particulière peuvent utiliser très efficacement les polices scriptes. Certaines entreprises s’en servent pour faire passer une image décontractée et « fait maison ».

MANUSCRITE
Différente des typographies scripts ou cursive, les typographies manuscrites imitent l’écriture naturel. Imitant la plume, la craie, le feutre marker, on trouve aujourd’hui un grand nombre de typographies manuscrites. Elles fonctionnent plus ou moins biens. Régulièrement incomplètes, elles n’ont pas été dessinées avec leurs chiffres, symboles ou accents. Elles essayent d’être lisibles, singulières et familières.
Typographies : Alex Brush, Rouge script et Brush script
Marques : Galleries Lafayette et Thierry Mugler
Image : Les polices manuscrites souhaitent être uniques. Elles sont utilisées pour des lettres, cartons d’invitations ou des vœux comme on peut le voir avec la lettre adressée à M. Gustave dans le film. Ces polices fonctionnent très bien pour les couvertures de livres et les affiches. Mais elles sont aussi incontournables dans le design de logos car elles apportent une touche de créativité et de singularité. Utilisées en logotypes, elles sont utilisées comme signatures.

DECORATIVE
La typographie utilisée pour l’enseigne au-dessus de la porte du « Grand Budapest » est une typographie décorative. Ce sont des polices plus originales, exotiques, fantaisistes. Les polices décoratives ont un caractère unique et attrayant.
Les polices décoratives sont rarement utilisées pour de longues chaînes de texte car elles deviennent peu lisibles rapidement.
Ces types de polices peuvent parfois tomber en désuétude si leur design utilise des codes graphiques trop spécifiques ou trop datés. Elles sont malgré tout très agréables à utiliser dans les logos.
Exemple : Futuracha, Canilari et Posterama
Marques : Oasis, Fanta et Lego
Image : ces polices véhiculent un caractère unique et mettent l’accent sur l’originalité. Maniables, flexibles, elles sont là pour être créatives et libres. Utilisées en logotitres, les typographies décoratives apportent une idée de légèreté, de joie et de plaisir.

EGYPTIENNE
Les polices égyptiennes (ou slab) sont une variante de la typographie à empattements traditionnelle. Elles possèdent les empattements les plus grands et les plus impressionnants. Ce genre de polices est apparu au XIXème siècle sur les affiches et les brochures avec pour intention d’être vu de loin. Les caractères sont audacieux et se démarquent de leurs homologues classiques. Les pieds qui définissent les polices égyptiennes sont plus grands et ressemblent à des blocs.
Ce type de polices se caractérise par une approche solide et audacieuse et elles sont plus souvent utilisées par des marques modernes que par des marques classiques. Ces polices peuvent être arrondies ou angulaires, et certaines ressemblent beaucoup au style des machines à écrire.
Exemple : Clarendon, Museo et Malaga
Marques : Sony, Honda et Volvo
Image : ces polices veulent envoyer une image forte et entreprenante. Elles transmettent un sentiment de confiance, de fiabilité et de créativité grâce à leurs lignes lourdes et leurs empattements moins délicats. Elles ont une image vintage et un design indéniable. Les marques qui souhaitent être vue et prouver que leurs idées et leurs produits sont novateurs choisissent régulièrement ce genre de  polices.


Enfin, et pour aller plus loin dans l’utilisation de la typographie dans le film The Grand Hotel Budapest, voici trois exemples de journaux. Ils ont été réalisés graphiquement par Annie Atkins et tous les articles sont écrits par Wes Anderson lui-même.

Grâce au site fontsinuse.com, j’ai pu retrouver les typographies exactes utilisées. Vous pouvez à présent tester vos connaissances et voir dans quelle catégorie vous les classeriez.

💡 Fun facts 
Alors que cet article parle de typographie, peu de polices de caractères ont été utilisées pour réaliser tous les supports graphiques du film car la plupart d’entre eux ont été créés à la main.
L'enseigne du « Grand Budapest Hotel » présent dans le film, mais aussi sur l’affiche, a été dessiné à partir d’une ancienne enseigne d’un hôtel en acier du Caire des années 1930. Dessiné à la main, le lettrage de l’hôtel est dans le même style un peu inégal avec des empattements plutôt désinvoltes et un interlettrage non uniforme.
Les packagings des gâteaux Mendl’s ont tous été réalisés à la main par Annie Atkins et comportent une faute d’orthographie à « Pâtisserie » qui a été corrigé en post-production. Ce qui permet à l’équipe de reconnaitre les vraies boites des fausses sur ebay.


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Les visuels appartiennent à Fox Searchlight, Wes Anderson et Annie Atkins.

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sources :

Fake Love Letters, Forged Telegrams, and Prison Escape Maps: Designing Graphic Props for Filmmaking d'Annie Atkins

The Grand Budapest Hotel poster and props

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